
Je me réveille tôt ce matin, sous une pluie battante. Il fait encore nuit quand j’apprends, dans Le Monde : « Claudia Cardinale, égérie du cinéma italien, est morte à l’âge de 87 ans. » Une partie de mon univers cinématographique s’éteint avec elle, mais ses œuvres et sa vie resteront à jamais gravées dans ma mémoire.
Je repense aux bruits sourds des premières motrices glissant sur les rails encore humides de la rosée nocturne, celles du TGM quittant La Marsa-Gare[1] en direction de Carthage, La Goulette, Tunis… Le jour se lève, et l’appel à la prière du matin résonne sur La Marsa et ses environs.
Durant mes années tunisiennes[2], on pouvait encore çà et là, dans la rue ou dans certains cafés entre Tunis et La Marsa, entendre des bribes de mots siciliens ou italiens noyés dans des phrases aux résonances franco-arabes[3]. Ce monde disparu, on en retrouve l’écho dans « Un été à La Goulette » de Férid Boughedir, où Claudia Cardinale incarne son propre rôle.
C’est aussi durant mes années tunisiennes que j’avais pu observer Férid Boughedir et son équipe tourner le téléfilm « Villa Jasmin » – car plusieurs scènes du film ont été tournées à l’hôtel Sidi Bou Saïd, à Sidi Dhrif, où je séjournais habituellement pendant mes séjours en Tunisie. En écrivant ces lignes, je me demande si le journal « Il Corriere di Tunisi » existe encore : pendant mes années tunisiennes, cette voix italienne en Tunisie était encore présente.
En dehors de cette « séquence tunisienne » et de mes souvenirs très personnels, j’ajouterais que, jeune enseignant-chercheur à l’université de Mannheim, je tenais un cours sur les paysages méditerranéens, avec un chapitre analysant le rôle du paysage dans le cinéma, plus particulièrement les paysages dans le néoréalisme italien et au-delà… Dans ce chapitre, je parlais aussi de Rocco et ses frères, du Guepard de Luchino Visconti, de Claudia Cardinale et d’Alain Delon. Mais au-delà, il me reste le souvenir inoubliable de ses rôles dans « Il était une fois dans l’Ouest », « Fitzcarraldo [4]», « Mayrig » et « 588, rue Paradis ». Comme par coïncidence, dans mon dernier billet dans paysages, en partie consacré à l’œuvre de Werner Herzog, je parle aussi de Fitzcarraldo – qui reste l’un de mes films préférés depuis plus de 40 ans.
Le Monde vient de republier le remarquable entretien que Annik Cojean avait mené avec Claudia Cardinale, en mai 2017 : « Claudia Cardinale au « Monde » : « Ce métier m’aura offert une foule de vies »», où l’actrice évoque entre autre sa jeunesse française en Tunisie : « Oui. Mes ancêtres avaient quitté la Sicile pour la Tunisie, alors protectorat français. Et mes parents, comme moi-même, avons donc été élevés dans la langue française. J’ai eu beaucoup de chance, car ils formaient un couple éternel… Ma langue maternelle est le français… »
Ce petit billet de blog met en lumière la couverture de son livre « Ma Tunisie », une évocation à la fois cinématographique et nostalgique d’un monde méditerranéen aujourd’hui disparu. Je le conclus avec cette citation, extraite de l’ouvrage : « Un été à La Goulette en 1995. Je joue mon propre rôle. Ce tournage n’était pas prévu : de passage à Tunis, j’avais croisé le réalisateur Férid Boughedir, qui me demanda de faire une apparition dans le film. Il m’a convaincue. À Carthage, où avait lieu le tournage, il m’a fait une magnifique surprise : il m’a dit d’aller sur le balcon… et j’ai découvert toute la population de la ville réunie pour m’applaudir. C’est un souvenir fantastique, et un cadeau unique ! » (Cardinale, Claudia, 2009, p. 85).
Bibliographie :
Cardinale, Claudia (2004) : Du Lycée de Tunis à Hollywood. In : Tselikas, Effy & Hayoun, Lina (Eds.) : Les lycées français du soleil. Creusets cosmopolites du Maroc, de l’Algerie et de la Tunisie. Paris, les Éditions Autrement, ISBN 2-7467-0435-8, p. 201 – 207.
Cardinale, Claudia (2009) : Ma Tunisie. Boulogne sur Mer, 2009, Timée Éditions. ISBN 978-2-35401-082-9
Christophe Neff, écrit et publié à Grünstadt 24 Septembre 2025
[1] Gare aujourd’hui dénomme « La Marsa Plage »
[2] Voir aussi « Les belles de Tunis sont en deuil » et « Impressions du « Deuxième Symposium International de l’AGT : « Territoires, Changements globaux et Développement Durable», 12-17 novembre 2018, Hammamet –Tunisie » et naturellement « Villa Jasmin – quelques pensées personnelles en vagabondant sur le téléfilm de Férid Boughedir (PDF du Texte dans KITopen, DOI: 10.5445/IR/1000162896)»
[3] Cela ressemblait un peu a la « chakchouka » de langues dont nous parle Claudia Cardinale dans le Chapitre « Du Lycée de Tunis à Hollywood » dans le livre les lycées français du soleil : « A` la maison, nous parlions en français en mélangeant des mots d’arabe, d’hébreu, de sicilien une véritable chakchouka (Cardinal, C. 2004, p. 203)»
[4] Dans la nécrologie de Claudia Cardinale de Georg Seeßlen « Sie war die Göttin der Zukunft – Die Filme „Der Leopard“ und „Spiel mir das Lied vom Tod“ machten Claudia Cardinale unsterblich. Für Italien bedeutete die Schauspielerin aber noch viel mehr. Ein Nachruf» dans l’hebdomadaire allemand die Zeit les conditions de tournage difficile de Fitzcarraldo sont évoquées. Voir aussi la nécrologie de Christian Buß dans le Spiegel « Zum Tod von Claudia Cardinale Die größte Überlebenskünstlerin des europäischen Kinos In ihren Filmen erzählte sie von der Gewalt und der Ökonomie, denen der weibliche Körper ausgesetzt ist. Die Geschichte von Claudia Cardinale ist eine des Willens, der Würde und des Widerstands. »











