I. Un blog sur les paysages : un petit début – ou quelle langue choisir ?

Aujourd’hui où j‘ écris mes premières phrases dans mon blog, – l‘ Allemagne, la République fédérale d‘ Allemagne, die Bundesrepublik Deutschland fête ses soixante ans d‘ existence. J‘ ai l‘ impression qu‘ ici en Allemagne on ne fête guère cet événement. Dommage en fait, eigentlich schade, – car on pourrait être fier de ce qu’on a construit au cours de ces 60 ans. Depuis que j’ai eu l‘ idée d‘ écrire un blog, je me suis toujours heurté à la question de la langue – dans quelle langue écrire. En français, ma vraie langue maternelle, la langue que j‘ ai parlé avec ma mère, pendant les premières années de mon existence, à Tübingen, à Eckbolsheim, à Schramberg-Sulgen où j‘ ai appris à rêver des paysages mediterranéens perdus, accompagnés des chansons mélancoliques d’Enrico Macias, que ma mère écoutait pendent des heures, peut- être pour se souvenir de son identité méridionale franco-italienne qui sombrait dans une Allemagne qui se remettait lentement de ses blessures de guerre . Les deux chansons d’Enrico Macias, qui depuis me accompagnent pendant mes voyages dans les paysages lointains, me rappelant mon identité franco-italienne, sont «Paris tu m’as pris dans tes bras » et «l’amour c’est pour rien».

Ou en dialecte romagnol, parsemé de mots francais, italiens, – la langue dans laquelle mon arrière grand-père me racontait ses histoires, ses voyages, ses paysages, ses géographies lointaines dans un temps où l‘ empire austro-hongrois existait encore. Ou en allemand, la langue que j‘ ai commencé à apprendre le jour où nous débarquons à Schramberg-Sulgen, quand ma mère jouait pendent des longues heures du Schubert, et que j‘ imaginais entendre la houle d‘ une mer invisible quand les tempêtes venues de l‘ ouest balayaient les cimes des arbres, sapins, épicéas, des pins sylvestres du «Feurenmoos» dont ,quand les grandes tempêtes remuent des fonds de sombres forêts, les arbres orchestrent un boucan d’enfer ressemblant à une mer se dechaînant pendant une grande tempête. Cette musique que les tempêtes provoquent dans les forêts de forêt noire est particulièrement bien décrite dans le Roman de Vincenz Erath , «größer als des Menschen Herz», – un très beau roman d‘ une enfance en forêt noire dans le environs de Schramberg , roman et auteur qui sont malheureusement presque tombés en oubli en Allemagne.

Et plus tard à l‘ école, ou j’ai réellement appris l‘ allemand: avant , c’était plutôt le Schramberger Schwäbisch, même le Sulgenerisch, à ne pas confondre avec le Sulgerenisch de Saulgau le lieu de naissance et d‘ enfance de mon père. Oui ,c’est à l’école que j‘ ai réellement appris à parler, lire et écrire la langue de Goethe, – à la Grundschule Sulgen au Kirchplatz à Sulgen, – une paisible école de campagne entourée de beaux marronniers d‘ inde et d‘ une vielle Église. Au lycée vient l‘ anglais et plus tard le latin. Le latin ne me rappelle guère de bons souvenirs d’école. Pour l‘ anglais, même si j‘ étais au début plutôt un élève médiocre, l’anglais est peut être la seule langue où je maîtrise approximativement l‘ orthographe. Une langue devenue langue de travail, langue de lecture, langue dans laquelle je commence parfois à rêver, comme dernièrement après la lecture d‘ une des 40 pages du livre « the conquest of nature – Water, Landscape and the Making of modern Germany » de David Blackbourn.

Après le bac et le service militaire, pendant les études universitaires à Mannheim, parallèlement à mes études de géographie, j‘ avais commencé à étudier les langues romanes, un peu d‘ italien, mais vers la fin des années quatre-vingt l‘ italien était tellement à la mode en Allemagne (ce fut les temps de la „Toskana-fraktion “ de la SPD, de carborna de Spliff , que ,du moins à l‘ université de Mannheim , les cours étaient super pleins), faute d‘ avoir l‘ occasion de parler on n‘ apprenait pas grand-chose. Le peu d‘ italien qui me reste est plutôt dû aux vestiges de mes fonds familiaux, aux multiples vacances passées en Italie, et de mes essais d‘ imiter svalution de Adriano Celentano pendant ma phase de chanteur rock qui dura à peu près de 1980 – 1990.

J‘ ai donc filé vers les cours de portugais, en me souvenant que, quand j‘ étais gamin, je lisais avec mon grand – père dans son journal à Aubord , on disait toujours le journal du pépère, dans le Monde , les progrès de la révolution des oeillets. Salgueiro Maia était un des mes héros de jeunesse, mais je me demande qui au Portugal se souvient encore de son histoire. Plus tard pendant mes divers voyages d‘ études au Cabo de Rocca, mais surtout au Cabo de Sao Vicente et le long de toute Costa Vicentina je me mettais à rêver de voyages lointains, de rêver mes Luisades « Onde a terra acaba e o mar começa (Os Luisadas, III, 20 ) ». Entre temps le Portugal continental, à part quelques ilôts de résistance est devenue une terre anglophone, – à force de ne plus pratiquer le portugais, j’ai presque perdu ma maitrise active du portugais. Les quelques mots et phrases qui me restent, sont dues au fait que sur les îles lointaines des Açores comme Pico, Faial ou Flores il reste de minuscules pays où il est absolument nécessaire de parler portugais si on veut communiquer.

Revenant aux paysages, en lisant il y a quelques jours les Les Derniers Jours de la Classe ouvrière de Aurélie Filippetti, je commence à replonger dans les paysages imaginaires de mon enfance, les paysages des histoires de mes grand parents, de l‘ immigration italienne en Lorraine, de la résistance, du combat politique de la classe ouvrière. Je n‘ ai jamais mis les pieds dans ce pays, mais en lisant le livre de Aurélie Fillppetti, j‘ avais l‘ impression de connaître chaque ruelle de la Basse – Italie d‘ Hussigny, la cour de l‘ ecole d‘ Hussigny , les cheminées du four crématoire du camp de Thil , les mines de fer, les peurs de la gestapo, des SS, – à vrai dire une géographie imaginaire qui n‘ existait que dans ma mémoire d‘ enfant, mais qui a survécu à l‘ enfance et qui ressurgit pendant la lecture du livre de Fillipetti. C’est en fait aussi la lecture du roman autobiographique de Fillipetti, qui m’a donné le courage de m‘ attaquer à ce blog sur les paysages, – même si je n‘ ai pas encore résolu le problème de la langue d‘ écriture adéquate. Notons que dans ma perception, le livre de Fillipetti est une rare sources écrites et disponibles sur l‘ immigration italienne dans le Haut-Pays de Lorraine, et à ce titre ce livre est déjà cité comme source scientifique, comme par exemple dans l‘ article de Pierre Schill (2003) sur la résistance ouvrière en Moselle de 1940 à 1945.

En fait ce blog est un peu dédié à la construction des paysages, de nos paysages imaginaires, et ici je reviens à David Blackbourn «Many historians have devoted themselves in recent years to mental topographies, and with good reason. What we call landscapes are neither natural nor innocent ; they are human constructs. How and why they were constructed (many would say „imagine“ even „invented“)belongs to the stuff of history (Blackbourn 2007: 16). Blackbourn a parfaitement raison, mais je pense également que ce type d‘ analyse fait aussi partie du devoir de lecture et d‘ interpretation des paysages par la géographie et les sciences de l‘ écologie du paysage. La géographie , dans le sens d‘ une science naturelle et les sciences du paysage ont tout interêt à intégrer ce concept de Blackbourn, – car en se réduisant aux aspects physique ou biologique d‘ un paysage, la lecture du paysage devient illisible, il reste au moins partiellement indéchiffrable, – ou simplement mal interprété. Notons aussi qu‘ au moins une partie du concept de Blackbourn se retrouvait au moins partiellement dans la théorie de la « Wesenheit der Landschaft » (Paffen 1973) de l‘ ancienne école de géographie allemande, mais qui est completement tombée en oubli en Allemagne.

Ce blog sera multilingual, donc allemand, francais et anglais, et il sera en partie dédié aux paysages imaginaires que nous construisons chaque jour, et d’autre part, à mes lectures , dans le sens de Golo Mann « wir alle sind was wir gelesen », qui est en fait un titre de livre emprunté à une citation de Eichendorff. Naturellement ce blog est aussi consacré à mes point de vue politiques , culturels et artistiques , les opinions d‘ un citoyen européen de double nationalité franco -allemande.

Et pour bien feter les 60 ans de la Bundesrepublik Deutschland voici – en mémoire de nos paysages imaginaires d‘ Allemagne – écoutons Patricia Kaas, qui nous chante ces paysages allemands imaginaires que nous véhiculons aves nous.

Sources :

Livres et autres ouvrages ecrites :

Blackbourn, D. (2007): The Conquest of Nature. Water, Landscape and the Making of Modern Germany. New York (Norton Paperback)

Erath, V. (1951): Größer als des Menschen Herz. Das Buch vom wahren Leben. Tübingen (Rainer Wunderlich Verlag)

Filippetti, A. (2003): Les derniers jours de la classe ouvrière. (Stock, le livre de poche)

Mann, G. (1991): Wir alle sind war wir gelesen. Aufsätze und Reden zur Literatur. Berlin (Verlag der Nation).

Paffen, K.H. (1973) : Das Wesen der Landschaft. Darmstadt (Wissenschaftliche Buchgesellschaft)

Schill, P. (2003) : Antifascisme et résistance ouvrière organisés autour de la CGT et du Parti communiste en Moselle annexée (1940-1945), entre histoire et mémoire. In : Schirmann, S. (Ed.) Annexion et nazification en Europe, Actes du colloque de Metz, 7-8 Novembre 2003, p. 173 à 187. Document téléchargeable sous l’adresse : (http://www.memorial-alsace-moselle.com/f/colloque.html )

Sources Internet:

Centro Virtual Camoes – Biblioteca Digital Camoes: Luis de Camoes, Os Luisadas (et autres œuvres) (version wayback machine),  et Os Luisadas (CAMOES, Luís de, 1524-1580, Os Lusiadas / de Luis de Camões dans la Bibliothèque nationale du Portugal / Biblioteca Nacional de Portugal copie digital.) (Révision du lien datant du 23.5.2009 16 :20 et correction 19.03.2023 9 :00 et le 25.04.2023 11:30)

Christophe, Neff, Grünstadt, le 23.5.2009

P.S. (26.04.2023) : Dépôt de l’article dans la bibliothèque KIT-Open. Premier billet du blog paysages, qui a débuté en mai 2009 comme blog abonné le Monde.fr .  Un PDF (copie de la version du 26.04.2033) du billet sera/est disponible sous DOI: 10.5445/IR/1000158169.

8 Kommentare zu „I. Un blog sur les paysages : un petit début – ou quelle langue choisir ?

  1. Quelle belle idée que ce blog!!!
    Paysages germaniques et paysages méditerrannéens…
    J’attends avec impatience le jour où viendront l’évocation des paysages japonais et de la pensée d’Augustin Berque….
    Cordialement
    P.AGERON
    Agrégé de Géographie
    PS: Gardez le cap d’un billinguisme indispensable…

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