
Attention au feu : photo prise au Cap Leucate Mai 2006 (Photo: C.Neff )
En voyageant depuis mon infirmerie au-dessus des toits de Grünstadt, avec le Père Chapdelaine, sa fille Maria et le cheval Charles-Eugène à travers les terres incendies de la
forêt québécoise longeant la rivière Péribonka : » les Maisons depuis le village s’espaçaient dans la plaine s’évanouirent d’un seul coup, et la perspective ne fut plus qu’une cité de troncs nus sortant du sol blanc. Même l’eternel vert foncé des sapins, des épinettes et des cyprès se faisait rare ; les quelques jeunes arbres vivant se perdaient parmi les innombrables squelettes couchées à terre et recouvert de neige, ou ces autres squelettes encore debout, décharnés et noircis. Vingt ans plus tôt les grands incendies avaient passé par là, et la végétation nouvelle ne faisait que poindre entre les troncs morts et les souches calcinées. » Hémon (1954, 21), – en lisant cette partie du roman de Hémon, qui est, à ma connaissance une des premières descriptions « littéraires » de la dynamique végétale après incendies de forêts , quelques images et pensées me viennent à l’esprit.
A ce que je sache, le « Le Merveilleux Voyage de Nils Holgersson à travers la Suède » de Selma Lagerlöf, paru en 1906/1907 – qui était conçu comme manuel de géographie pour l’école primaire en Suède, ce qui est souvent oublié de nos jours – était une des premières œuvres littéraires, manuel scolaire (et dans ce sens aussi un document scientifique) traitant des feux de forêts. Dans « Nils Holgersson » nous trouvons donc une description d’un feu de forêt (dans l’original = XLII. En morgon i Ångermanland Skogsbranden ), mais si je me souviens bien, pas de description ou image de la reconquête végétale après incendies comme dans le roman de Hémon, paru la première fois en 1914 sous forme de feuilleton, mais une description de l’ incendie, du feu de forêt ravageur, de la mer de flammes meurtrières qui menace forêt, animaux et les hommes.

Squelettes de Pins sylvestre sur le site de l’incendie de Leuk – Albinen. (Photo C.Neff Juillet 2007)
Les images des brûlis, ou « brûlés » comme Hémon les nomme, que l’ auteur peint, ils ne se réduisent pas aux phrase citées, mais d’ autres exemples suivent dans le livre, me rappellent un peu les images & impressions sur le site de l’ incendie de Leuk – Albinen (Aout 2003), – où presque chaque printemps – été après l’ incendie, je donne des cours sur la dynamique végétale après incendies (cours & travaux pratique d’ écologie terrestre – le dernier cours fut tenu en août 2008 en collaboration avec Barbara Moser de la WSL ) où Thomas Wohlgemuth de la WSL a établi un formidable site de recherche , d’ observation écologique à long terme des processus écologique & dynamique végétale après incendies, – ce site scientifique (LTER = Long Term Ecological Research Site) est à ma connaissance assez unique en Europe – et je me demande pourquoi dans les pays méditerranéens à ce que je sache jusque a présent un tel site d’ observation écologique à long terme des conséquences écologiques de feu de forêt n’ existe pas. On pourrait au moins croire (ou espérer) que certains pays riverains de la méditerranée devrait avoir un plus grand intérêt à mener des recherches approfondies sur les conséquences écologiques des feux de forêts que la fédération hélvétique.
Notons aussi dans ce contexte que Marco Conedera (WSL Bellinzona ) est en train de monter un site de recherche d’observation écologique à long terme de la reconquête végétale après incendie, semblable au site de WSL de Leuk – Albinen, mais de dimension plus réduite sur les « brûlis » d’une forêt mixte composée de « châtaigneraies, hêtraies et chênaies » de Cugnasco dans le Tessin. Mais d’un point de vue méditerranéen, ce site se trouverait aussi dans la confédération helvétique, – et même si on peut retrouver des couleurs méditerranéennes dans le Tessin, – c’est une réalité écologique entièrement à part du monde méditerranéen, – c’est le monde des écosystèmes insubriques (insubrische Ökosysteme). La WSL à Bellinzona a même consacré un groupe de recherche entier sous la direction de Marco Moretti à l’étude des écosystèmes insubriques .
Les images rencontrées dans le roman de Hémon me font aussi penser que dans trois – quatre semaines quand les premiers grand incendies éclateront quelque part sur les rivages de la méditerranée les journalistes allemands commenceront à frapper a ma porte pour se faire accorder une interview. Dans ce contexte je me demande pourquoi en France, durant les saisons des incendies, on ne voit guère d’experts, de vrais scientifiques experts en écologie du feu dans les medias. Je me souviens bien avoir vu un ministre de l’intérieur nommé Nicolas Sarkozy dans un cockpit de Canadair, mais je me rappelle pas avoir vu le Monde (ou un autre quotidien) accorder un page ou même une demi page d’interview à Louis Trabaud, François Romane, ou Eric Rigolot – de même aucun des trois dans un journal télévisé. Ma mémoire me tromperait-elle ?
Revenons en Allemagne, – oui les journalistes viendront certainement, – et ce seront toujours les mêmes questions, – pourquoi tellement d’incendies cette année, les autorités sont- elles bien préparées – ont-elles bien réagi, – et surtout la question cruciale – omniprésente à laquelle je réponds toujours de la même manière. Les incendies sur le pourtour sont il déjà dûs aux changements climatiques ? – et je réponds qu’actuellement on n’aurait pas encore assez d’indices pour pourvoir prouver scientifiquement que les changements climatiques pourraient être responsables des les incendies actuels au Portugal, en Espagne, en France, en Italie, en Grèce. Après j’ essaye de leur expliquer que les paysages méditerranéens ont beaucoup changé ces derniers 50 ans, garrigues, maquis et forêts progressent énormément, qu’ il y de plus en plus de masse combustible dans une grande partie des paysages méditerranéens – paysages qui, de fait, subissent un vrai changement global, – un vrai « global change » – mais là normalement la plupart des journalistes décrochent, – des analyses complexe, cela ne les intéresse guère, et en plus c’est difficile à vendre au grand public. Parfois j’ essaie de retenir leur attention en leur expliquant que si le scénario de changement climatique émis par les modeleurs se révélait être correct, on pourrait en fait s’ attendre à une augmentation de feux de forêt chez nous en Allemagne, en Moyenne Europe, même dans les forêts de l’ Est de la France, – en fait je crois, si je me souviens bien, que j’ étais (dans une petite publication commune avec Alexander Scheid (Neff & Scheid 2003) un des premiers scientifiques allemands à évoquer le fait qu’avec les changements climatiques les incendies de forêts en moyenne Europe (Mitteleuropa) pourraient considérablement augmenter dans un assez proche futur. Avant 2003 il y avait déjà diverses déclarations publiques et publications de Friedrich-Wilhelm Gerstengarbe du PIK qui prévoyait qu’avec les changements climatiques dans certaines régions allemandes le risque d’incendies de forêts pourrait considérablement augmenter.
Notons dans ce contexte que les incendies de forêts existent et ont toujours existé sans changements climatiques en Moyenne Europe, mais comme ils se manifestent tout de même assez rarement, la mémoire collective les oublie assez vite. Par exemple le dernier incendie important en Forêt noire a eu lieu à Hornberg en avril 1997 . Les feux de forêts en Moyenne Europe peuvent, à cause des stocks de masse combustible considérable, devenir particulièrement meurtriers, comme par exemple le grand incendie de la Lüneburger Heide en 1975 qui a coûté la vie à 5 pompiers, (un numéro du « der Spiegel » fut même consacré à cet événement particulièrement meurtrier (Der Spiegel 1975)) mais qui de nos jours n’a plus de place dans la mémoire collective allemande.
Parfois on peut retenir avec de tels arguments l’intérêt d’un journaliste. Revenons aux paysages méditerranéens, -mis à part le journaliste free-lance et parfaitement francophone « Joachim Budde » , – je n’ai jamais ressenti aucun intérêt de la plupart des journalistes pour aller au fond du problème. Des questions comme, quelle étude approfondie vous suggérez de lire pour comprendre le problème, quel livre lire – peut être véhiculé-je là une fausse image en moi – qui provient du journalisme investigatif américain, – je n’ai jamais entendu une telle question de la part d’un journaliste, sauf de la part de Joachim Budde, qui a fait articles et émissions de radio sur les profonds changements que subissaient les paysages méditerranéens. Donc comme la question à laquelle j’aurais aimé répondre, – quel livre lire pour avoir une plus grande compréhension des changements de paysages , au moins en partie responsables de l’augmentation des feux de forêts, – ne m’a jusqu’à présent jamais été posée – je me la pose maintenant moi-même !
Je pense à deux livres – Écologie et biogéographie des forêts du bassin méditerranéen de Quézel & Medail – et le livre The Nature of Mediterranean Europe. An Ecological History de Grove & Rackham. Le premier titre, le livre de Pierre Quézel et Frédéric Médail est une véritable bible de l’écologie des forêts méditerranéennes, – je pense qu’actuellement il n ‘y a rien de meilleur sur le marché. Je vais sûrement consacrer un billet spécial à ce livre. L’ouvrage mériterait d’être au moins traduit en anglais pour trouver une audience internationale encore plus grande. Naturellement en ce qui concerne les journalistes allemands il est quasiment illusoire de croire qu’ils pourraient ou voudraient lire un ouvrage de plusieurs centaines de pages sur l’écologie des forêts méditerranéennes, – écrit de plus en français.
L’autre livre que je considèrerais comme un des ouvrages fondamentaux pour la compréhension des paysages méditerranéens, est The Nature of Mediterranean Europe. An Ecological History de Grove & Rackham. L’ouvrage de Grove & Rackham est plutôt une approche géographique, – « landscape oriented « c’est donc l’aspect de l’évolution du paysage, surtout la dimension historique de l’évolution des paysage méditerranéens qui est au centre du livre, contrairement au livre de Quezel & Medail qui privilègie clairement l’approche biogéographique et géobotanique. Ce qui rend à mes yeux le livre de Grove & Rackham particulièrement intéressant – est qu’ils introduisent un nouveaux concept dans l’analyse de l’écologie des écosystèmes méditerranéens, de l’histoire écologique des paysages méditerranéens – le concept de « mediterranean tree savanna », concept repris par Rackham (2008) dans son article récent sur l’histoire holocène des paysages des iles méditerranéennes. Le livre de Grove & Rackham mériterait certainement un grand public de lecteurs, – je pense qu’il faudrait que j’écrive un billet spécifique pour faire connaître ce livre à un plus grand public en dehors du public scientifique.
Malheureusement l’environnement scientifique d’aujourd’hui est aussi soumis à de multiples pressions et je me demande en ce qui concerne les deux livres présentés brièvement, si réellement un des mes collègues a envie ou a simplement le temps nécessaire pour le faire, de lire des ouvrages de 200 ou 300 pages. Donc si les chercheurs, scientifiques commencent déjà à manquer de temps pour lire des livres un peu volumineux en pages, ce que je considère déjà comme grave, – comment espérer qu’un journaliste lise un livre scientifique des plusieurs centaines de pages.
Pour en finir, pour le lecteur avec des ressources de temps plus restreintes, qui aimerait quand même avoir un aperçu scientifiquement fondé sur les changements de paysage et des feux de forêts dans les paysages méditerranéens je recommande donc de lire le livre « le feu dans la nature » édité par Benoit Garrone. Ce livre, au contraire des deux autres livres, est d’une taille agréable pour un lecteur en manque de temps, mais il ne couvre soit disant que la zone méditerranéenne française. Par contre les deux ouvrages Écologie et biogéographie des forêts du bassin méditerranéen et The Nature of Mediterranean Europe. An Ecological History couvrent plus ou moins une très grande partie du bassin méditerranéen, la couverture géographique de l’ouvrage de Quezel & Medail s’étend lui du Maroc jusqu’ au Liban.
Je termine ce billet de la même façon que je l’avais commencé, avec une citation du roman de Hémon, une citation qui me rappelle le brûlis de Leuk-Albinen dans le Valais des premiers années avec ses larges étendues de saponaire et épilobe en épi sous les troncs squelettiques des Pins sylvestre brûlés, image qui fut nommée « Märchenwald » (forêt féérique ) par Thomas Wohlgemuth & Barbara Moser. Suivons donc Hémon sur les traces de la reconquête végétale d’une forêt jadis incendiée du Québec » Dans les brûlés, au flanc des coteaux pierreux, partout où les arbres plus rares laissent passer le soleil, le sol avait été jusque-là presque uniformément rose, du rose vif des fleurs qui couvraient les touffes de bois de charme ; les premiers bleuet, roses aussi, s’ étaient confondus avec ces fleurs ; mais sous la chaleur persistante ils prirent lentement une teinte bleu pâle, puis bleu de roi, enfin bleu violet, et quand juillet ramena la fête de sainte Anne , leurs plants chargés de grappes formaient des larges taches bleues au milieu du rose des fleurs de bois de charme qui commençaient à mourir.
Les forêts du pays de Québec sont riches en baies sauvages ; les atocas, les grenades, les raisins de cran, la salsepareille ont poussé librement dans le sillage des grands incendies ; mais le bleuet, qui est la luce ou myrtille de France est la plus abondante de tous les baies et la plus savoureuse». : Hémon ( 1954: 55 )
Sources et ouvrages cités :
Der Spiegel (1975): Das große Feuer, wer hat versagt ? Nr. 34, 18 August 1975.
Garrone, B. (2004) : Le feu dans la nature mythes et réalité. Prades -le- Lez (Les Ecologistes de l‘ Euzière).
Grove, A.T., Rackham, O. (2001): The Nature of Mediterranean Europe. An Ecological History. New Haven (Yale University Press).
Hémon, L. (1954): Maria Chapdelaine, récit du Canada français. Paris (Grasset, le livre de Poche).
Lagerlöf, Selma (1948): Wunderbare Reise des kleinen Nils Holgersson mit den Wildgänsen. München (Nymphenburger) (Original = Nils Holgerssons underbara resa genom = chargeable ici (en Suédois)).
Neff, C., Scheid, A. (2003): Kontrollierte Feuer in Natur und Landschaftspflege: – Erfahrungen aus dem Mittleren Schwarzwald (Raumschaft Schramberg) und den mediterranen Pyrenäen (Pyrénées Orientales/Region Prades) Südfrankreichs. In: Venturelli, R.C., Müller, F. (Eds): Paesaggio culturale e biodiversità. Principi generali, metodi, proposte operative. Giardini e Paesaggio, 7, Firenze, 163 – 177, (ISBN 88-222-5272-1).
Quézel, P., Médail, F. (2003) : Écologie et biogéographie des forêts du bassin méditerranéen. Paris (Elsevier France).
Rackham, O. (2008): Holocene History of Mediterranean Island Landscapes. In: Vogitzakis, I.N., Pungetti, G., Mannion, A.M. (eds): Mediterranean Island Landscapes Natural and Cultural Approaches. New York, (Springer Landscape Series V 9), p. 36 – 60.
Christophe Neff, Grünstadt le 4.6.2009