Des changements des paysages, il y en a aussi dans la Raumschaft Schramberg, petit terroir de la Forêt Noire dans lequel j’ai passé une grande partie de mon enfance. J’ai eu dernièrement, durant un cours pratique sur les changements de paysages dans le « Mittlerer Schwarzwald », cours pratique qui eut lieu du 15 au 19.8.2012, l’occasion de le constater. Le but de ce cours était d’initier les étudiants à la pratique de la cartographie du paysage et de la dynamique végétale. Nous avons donc travaillé sur deux chantiers distincts – l’un sur la reprise végétale du feu de forêt de Hornberg-Niederwasser – et l’autre sur la coupe blanche du Steighäusle à Schramberg (voir aussi la notice: La Forêt progresse à Schramberg). Donc deux chantiers dédiés à la dynamique végétale et à la fermeture du paysage.
La Forêt Noire est aussi une terre de Feux de Forêts, même si cela a presque disparu complètement de la mémoire collective et la recherche scientifique jusqu’ à présent n’a pas encore écrit l’histoire des incendies de forêts en Forêt Noire. Le Brandenkopf, – la tête brûlée, porte le souvenir du grand incendie de 1730 dans son nom, avant il s’appelait Varnlehenskopf. Le plus grand incendie fut certainement le grand incendie de Baiersbronn-Schönmünzach qui dévasta une grande partie des forêts du Grindenschwarzwald et de la Murg en 1800. Le nouveau livre de Wolfgang Schlund & Georg Jehle & Charly Ebel, „100 Jahre Bannwald Wilder See„, dédié au centenaire de la réserve forestière du « Bannwald Wilder See » a le mérite de dédier un chapitre entier à l’incendie oublié de Baiersbronn-Schönmünzach. En dehors de l’aspect feu de forêt, le livre est aussi une magnifique initiation aux paysages du nord de la Forêt Noire.
L’incendie de Hornberg – Niederwasser, éclata en Avril 1997 le long de la Schwarzwaldbahn, – dû à un blocage de freins d’un train de marchandise – il brûla à peu près 100 ha de Forêt de Montagne (voir aussi ici). Depuis, la reconquête végétale a repris ses droits et une nouvelle forêt émerge lentement des brûlis. Cette reconquête naturelle, seulement une partie infime du terrain incendié, fut replantée par des Sapins de Douglas (Pseudotsuga mensziesii), de la végétation que j’observe depuis avec l’aide des étudiants. Des connaissances approfondies sur l’historique de feux de forêts de la Forêt-Noire ou des Vosges avoisinantes pourraient aussi nous donner des enseignements précieux sur ce qui nous attend, car si les prévisions climatologiques s’avèrent être correctes, il y aura de plus en plus d’incendies de forêts dans ces deux massif montagneux.
Le site du Steighäusle à Schramberg est une coupe blanche que la ville de Schramberg a établie entre la Talstadt Schramberg et le Sulgen pour gagner de l’espace ouvert, lumière et air frais pour la ville de Schramberg, qui, encaissée dans le Talkessel de la Schiltach, entourée de forêts et de montagnes, manque d’air et de lumière. Dans le livre de Cornelia Stubbe sur la géographie industrielle de la Forêt Noire on trouve une belle phrase sur la structure géographique de Schramberg – «Une répartition des rôles semble s’effectuer : Schramberg la vielle ville, rassemble les fonctions administratives, commerciales et sanitaires, donc l’ensemble du tertiaire, tandis que Sulgen, sur les hauteurs, avec une belle vue et davantage de soleil, offres des espaces à vocations industrielles, résidentielles et récréatives.» (Cornelia Stubbe:« L’Industrie en Forêt Noire », Paris 2005, p. 12) même si depuis, le rôle sanitaire de la vielle ville, la Talstadt, se beaucoup rétréci car l’Hôpital de Schramberg, le Kreiskrankenhaus Schramberg a disparu.
La coupe blanche du Steighäusle, est entretenue périodiquement par un petit troupeau de chèvres pour freiner la reprise de la forêt. Il était prévu d’installer un chantier de brûlage dirigé pour pouvoir plus efficacement gérer la reconquête végétale, mais il y avait tellement d’obstacles bureaucratiques, que l’entretien de ce terrain se résume à des passages périodiques d’un troupeau de chèvres. Comme pour le terrain de Hornberg-Niederwasser, nous observons sur la « Steighäuslefläche» la dynamique végétale. Cette fois ci, nous avons surtout travaillé sur des relevés témoins à gauche et à droite de la « Steighäuslefläche » – le long du Steighäusleweg et de la Charlottenhöhe. Le Steighäusleweg, chemin pédestre entre la Bergvorstadt Sulgen et la Talstadt Schramberg, ce fut pendant 9 ans mon chemin d’écolier, chemin que je descendais presque tous les jours pour descendre au Gymnasium Schramberg, lycée où j’ai passé le bac (Abitur) en 1984. Pour le retour, les 5 km de chemin, ont un dénivelé de presque 400metres, c’était la voiture de mon père, qui était enseignant dans ce même lycée, ou dans des voitures d’un de ces collègues qui en majorité résidaient aussi au Sulgen, ou parfois le bus, mais je faisais à pied assez souvent le retour en hauteur au Sulgen. Ces kilomètres de marche à pied, c’était surement une bonne préparation pour mon service militaire et la formation d’officier de réserve chez les paras de la Bundeswehr au sein de la Luftlandebrigade 25 à Nagold et à Calw. Donc beaucoup de souvenirs personnels pour dresser un tableau subjectif des changements de paysages depuis que j’ai quitté l’école en 1984. En plus, nous avons exploré le « Broghammerweiher » – ou les vestiges du Broghammerweiher car, en fait, il ne reste que quelques vestiges de l’étang de mon enfance. C’est sur les falaises entourant l’étang que j’avais découvert mes premières salamandres de feu, capturé des tritons dans la mare d’eau, observé les grenouilles. C’est grâce à mon ami d’enfance, Dirk S., qui habitait aussi comme moi jadis au Lärchenweg au Sulgen, qui m’avait fait découvrir le Broghammerweiher durant l’été 1972. Donc depuis que j’ai quitté le Gymnasium Schramberg, le paysage le long de mon chemin d’écolier a manifestement changé, la forêt, sauf sur la coupe blanche du Steighäusle, a progressé, le paysage s’est renfermé, le Broghammerweiher étouffe sous un manteau végétal, la forêt s’est visiblement refermée, là où l’homme l’a laissée se développer librement. Et des nouvelles espèces apparaissent, – les châtaignes (Castanea sativa), qu’on ne trouvait pas sur les flancs est de la vallée de la Schiltach, mis à part les trois exemplaires que j’avais plantés dans notre jardin au Lärchenweg, mais il y avait de beaux exemplaires entre Schramberg et Lauterbach au Schloßberg sur la façade ouest de la vallée de la Schiltach, font partie de la dynamique végétale entre Schramberg et Sulgen. Et les espèces exogènes – les « Neophyten » comme on dit en allemand, sont en nette progression, dont le Laurier-cerise (Prunus laurocerasus) et surtout la Balsamine de l’Himayala (Impatiens glandulifera). Mais il y a aussi des plantes qui semblent avoir disparu, – les échappés de jardins de Rhododendron ponticum du « Stadtpark » de Schramberg sur la Charlottenhöhe – je ne les ai plus retrouvées. Ils ont peut-être disparu à cause de l’entretien du paysage par les chèvres, – car ici aussi la ville de Schramberg essaie de contenir la progression de la forêt par des chantiers d’entretien du paysage. La Rhododendronblüte au Stadtpark, fin mai et début juin, ce fut longtemps la fierté de la ville de Schramberg, – on organisait même de voyage pour la Schramberger Rhododendronblüte – mais tout cela est un peu tombé à l’oubli même si la collection de Rhodedendrons est encore en place au Stadtpark, parc qui se dénomme de nos jours « Park der Zeiten » en souvenir de l’industrie horlogère, dont Schramberg fut une fois le fief incontestable au moins en Allemagne. Dans cette belle collection de Rhododendrons, les Rhododendrons ponticum en place avait donné lieu à quelques échappées de jardin et une petite colonisation subspontanée de Rhododendron de la Charlottenhöhe. Le changement le plus spectaculaire, à part la fermeture du paysage, est sûrement la progression de la Balsamine de l’Himalaya. Cette plante était tout simplement inexistante le long de mon chemin d’écolier, que fut le Steighäusle entre 1975 et 1984. De nos jours, elle est quasiment omniprésente le long de chemins, des trouées, des cours d’eau, par endroits on a vraiment le sentiment de se retrouver face à une vraie espèce envahissante.
Durant presque trente ans, les paysages le long de mon chemin d’écolier que fut le Steighäusleweg, se sont renfermés (sauf naturellement sur la coupe blanche de la Steighäuslefläche), la forêt progresse, des espèces thermophiles (Châtaignes) et exotiques comme le Laurier-cerise et la Balsamine de l’Himalaya sont apparues, progressent, et comme la Balsamine de Himalaya deviennent par endroits invasives. Durant ces presque trente ans, la ville de Schramberg a perdu sa gare, son hôpital ; oui, le paysage a beaucoup changé pendant ce temps, qui est, avec presque trente ans, le temps d’une génération. Quelques jours après ce travail de terrain, j’avais écouté une pièce radiophonique (Hörspiel) sur le fictif retour du Loup en Forêt Noire «Der Schwarzwald-Ranger – Die Wölfe kommen ». Cette pièce fut écrit par Daniel Bachmann, écrivain-réalisateur avec le quel j’ai passé le bac au Gymnasium Schramberg en 1984. La pièce radiophonique de Daniel Bachmann est une pure fiction, mais des loups, ces fameux loups dont on parlait temps durant cet été en France (le Harro sur le Loup de Louis Bové)(voir aussi ma dernière note), je pense qu’ils pourraient bien apparaitre un jour ou l’autre en Foret Noire. D’ailleurs il s’est déjà manifesté aussi bien dans le Jura que dans les Vosges, donc le Loup est actuellement présent dans presque la totalité des massifs montagneux français, – c’est donc seulement une question de temps, il arrivera dans les massifs montagneux de l’Allemagne – aussi bien dans le Pfälzer Wald qu’en Forêt Noire.
L’entretien des paysages en Forêt Noire par des troupeaux de chèvres sans protection sera sûrement incompatible avec la réapparition probable du Loup. La fermeture du paysage, la progression de la foret est aussi l’ image d’une transformation socio-économique de l’espace, disparitions des infrastructures, gares, hôpitaux, écoles, postes de polices, gendarmeries etc., un changement qui n’est pas restreint à la Raumschaft Schramberg, ce petit pays de Forêt Noire où j’ai passé une grande partie de mon enfance; cette transformation du paysage, nous la retrouvons un peu partout dans les ruraux de montagne en Allemagne, en France, en Suisse, oui, dans une grande partie de l’Europe rurale nous pouvons observer ce changement de paysages profond. Les paysages se referment et l’homme se sent terriblement seul et à l’abandon, cela attire les Loups. De ces loups, le vrai Loup, le Canis lupus, ne me semble pas être l’espèce la plus nuisible, car d’autres loups, bien plus dangereux, nous attendent!
Sources & Ouvrages cités :
Bachmann, Daniel (2012): Der Schwarzwald-Ranger – Die Wölfe kommen. Badisches Mundarthörspiel. Pièce radiophonique émise par SWR4 Baden-Württemberg le Samedi 1.9.2012 à 21.00. Livestream ici (7 eme emisson).
Schlund, Wolfgang ; Jehle, Georg ; Ebel, Charly (2012): 100 Jahre Bannwald Wilder See. Naturschutzzentrum Ruhestein & Landesbetrieb Forst BW Stuttgart, ISBN 978-3-00-035118-1
Stubbe, Cornelia (2005): L’Industrie en Forêt Noire, le defi d’une industrie en moyenne montagne. Paris (L’Harmattan), ISBN 2-296-00071-1
Photo: © C. Neff – Vue sur la Steighäuslefläche et le Eckenhof à Schramberg-Sulgen depuis le Schloßberg-Hohenschramberg 16.8.2012. (Minolta 7000AF, Kodak Elite Chrome)
Christophe Neff, le 10.09.2012
Cher monsieur, bonjour.
découvrant de très belles photos j’ai imaginé que vous les apprécieriez plus que des bavardages pour lesquels je suis inapte , d’où mon retrait progressif de la Rdl
http://www.laboiteverte.fr/les-forets-allemandes-de-michael-lange/
de photographies de sous-bois regroupées dans son livre WALD – Landscapes of Memory.
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