Grisaille, brumes, bruine et bouillasse – temps de novembre dans le Oberrheingraben. La France vient de commémorer le 11. Novembre 1918, jour du souvenir des morts de la grande guerre, dans un climat d’atmosphère « préélectorale » – vu les déclarations du Président Sarkozy, de François Hollande et de Eva Joly. L’Allemagne ne fête pas le 11. Novembre, jour de l’armistice de 1918, – elle commémore ses morts au Volkstrauertag (Gedenken an die Kriegstoten und Opfer der Gewaltherrschaft aller Nationen ) le deuxième dimanche avant le premier dimanche de l’Avent, donc cette année le 13.11.2011. Le 11 novembre en Allemagne, dans beaucoup de régions, c’est surtout le Martinstag ou Martini – jour de mémoire pour Saint Martin de Tours. J’aime beaucoup ce symbole de Martin le miséricordieux tranchant sa cape pour protéger le malheureux pauvre soufrant du froid en face de lui. En Allemagne, de nos jours dans les communes rurales, les enfants avec leurs lampions suivent encore un cavalier déguisé en officier romain qui, symboliquement, divise sa cape à la fin de la petite procession.
D’une part donc pour moi le 11 novembre c’est le « Martinitag » – mais c’est aussi le souvenir éternel de la grande guerre, aussi bien dans ma famille française que dans ma famille allemande. Combien de fois j’ai entendu ma grandmère ou ma mère me raconte l’histoire de mon arrière grand oncle Victor Tavard – soldat français pendant la grande guerre – et de son cousin Franz qui combattait pour les prussiens dans la même guerre. Ce souvenir des morts des deux côtés de la frontière, beaucoup de familles d ’Alsace, de Moselle l’ont partagé et peut-être que le souvenir de ce deuil ne s’est pas encore éteint dans cette partie de l’est de la France. Ce souvenir, on le retrouve dans le Monument aux Mort de Strasbourg , la Piéta de Léon-Ernest Drivier symbolisant la ville de Strasbourg pleurant ses fils tombés sous les drapeaux allemands et français. Un de ces enfants alsaciens tombés, les premiers jours de la guerre, fut Ernst Stadler, – tombé sous l’uniforme prussien le 30 Octobre 1914 à Zandvoorde près de Ypres. Ernst Stadler, que je considère comme le symbole de l’expressionisme littéraire allemand – peut être un des plus grands poète de langue allemande – un poète quasiment inconnu en France et en Allemagne un poète presque complètement tombé dans l’oubli, dont l’œuvre n’est depuis longtemps plus distribué par les maisons d’éditions allemandes. On retrouve quelque traces de Ernst Stadler dans l’essai de Charles Fichter (2011) sur le milieu littéraire à la fin du siècle en Alsace publie dans le dernier Numéro d’Allemende – Zeitschrift für Literatur. Ernst Maria Richard Stadler, poète alsacien de langue allemande (ein elsässischer Lyriker der in deutscher Sprache dichtete : l’article wikipedia.de dans la version du 12.11.2011), mourut pendant les premiers jours de cette grande guerre comme des centaines de milliers d’autres hommes connus et inconnus, cette hécatombe qui en provoqua d’autres et dont nous subissons jusqu’à nos jours les conséquences. Dans ce contexte je renvoie au dernier Interview de Joschka Fischer dans la Zeit du 10.11.2011 intitulé « Vergeßt diese EU », son paragraphe sur les mémoires de Stefan Zweig, la grande guerre et les risques de voir échouer le rêve d’une Europe politique & culturelle unie. Pour finir cette petite notice sur le 11 novembre et le Volkstrauertag je me permets de faire revivre un extrait du discours qu’ Henry Lévy, conseiller général démocrate du canton de Strasbourg-Nord, prononça lors de l’inauguration du monument au mort de Strasbourg le 18. Octobre 1936
„Monsieur le Président de la République. Dans l’hommage que vous nous faites, l’insigne honneur apporter à la France tout entière, personnifiée par son premier magistrat, c’est du fond du cœur, que le comité du monument aux morts de Strasbourg, vous prie d’agréer l’expression de sa respectueuse et profonde reconnaissance. Nous assurons également de notre gratitude les représentants du gouvernement : M. le ministre de la santé publique et M. le sous-secrétaire d’État à la présidence du Conseil. Nos plus sincères remerciements s’adressent aussi à notre municipalité aussi bien l’ancienne que l’actuelle municipalité, autour de Charles Frey à partir du 18 mai 1935 qui, en mettant à notre disposition ce bel exemple de la place de la République, nous a permis de doter notre ville d’un monument digne des sacrifices qu’il commémore, digne aussi de son patrimoine artistique, l’hommage unanime à nos morts. Le visiteur parcourant notre ville, pouvait s’étonner de n’y point trouver comme dans toutes les communes de France même les plus petites, le monument à ses morts de la grande guerre, tombés pendant quatre années d’une lutte sans merci, sur la terre de France, de Belgique, sur les steppes glacées du front russe ou dans les tranchés d’Orient, ou disparus sur les mers lointaines.
Il semblait qu’une page manquât à l’histoire de Strasbourg, si étonnamment fidèle cependant à son passé. Et quelle page. La plus émouvante et la plus tragique.
Pourtant nous savons bien que Strasbourg ne laissera jamais s’éteindre la flamme du souvenir et que nulle part peut-être, n’est restée aussi vivace dans les cœurs la mémoire de ceux qui sont tombés, car nous avons connu chez nous l’une des faces les plus douloureuses de la guerre. Celle qui oppose les uns aux autres, comme des ennemis, des frères séparés par l’annexion de 1871 et qui se retrouveraient pour se combattre. Le sculpteur Drivier a admirablement su exprimer – et nous l’en remercions chaleureusement -, le symbole que nous attachons à cette œuvre et que nous lui avons demandé de réaliser : toute cette tragédie est évoquée dans la douleur que reflète cette belle figure de femme non seulement symbole de la patrie, mais symbole aussi de l’humanité meurtrie… recueillant avec une émouvante sollicitude deux guerriers mourants, tombés sous les plis de deux drapeaux, mais, dont les mains se cherchent pour s’unir dans une suprême étreinte.
Chacun ressentira profondément la grande pensée qui se dégage de cette œuvre et puisse-t-elle être pour ceux qui nous suivront un objet de méditation ainsi qu’un enseignement. Je voudrais que l’écho des sentiments qui nous animent soit porté plus loin par les flots du Rhin, et que ce monument soit une pierre à l’édifice de la paix, qu’il soit un appel à l’union des peuples, à une fraternité fondée sur la justice et le respect des droits en même temps qu’un acte de foi dans les destinées de notre pays. » (Source : http://judaisme.sdv.fr/perso/dirige/henrlevy/henrlevy.htm – dernière consultation le 12.11.2011 vers 15:00)
Ce discours de Henry Lévy mérite d’être relu de nos jours, pour nous souvenir quel le douleur la grande guerre fit parmi les peuple de l’un et de l’autre côté du Rhin et pour que le rêve d’une Europe uni ne se rétrécisse pas à la question de la monnaie européenne, de la survie de l’Euro, mais pour rappeler comment nous voulons construire un espace européens où des drames comme ceux de la « grande guerre » ne se reproduiront jamais.
Sources citées :
Daltroff, Jean (2005): Henry Lévy, – Initiateur du Monument aux morts place de la République à Strasbourg. Extrait de l’Almanach du KKL-Strasbourg, 2005. Edité par http://judaisme.sdv.fr/perso/dirige/henrlevy/henrlevy.htm dernière consultation le 12.11.2011 vers 15:00
Fichter, Charles (2011) : Das literarische Milieu im Elsaß während des Fins de siècle. In : Allmende – Zeitschrift für Literatur. Literarische Landschaften- das Elsass, pp. 27-36, ISBN 978-3-88190-639-5
Christophe Neff, le 13.11.2011 – Volkstrauertag 2011.
bel article qui éclaire ceux qui, comme moi, sont ignorants de l’histoire propre à ces régions de France disputées à coup de millions de morts par la France et l’Allemagne. Heureusement, nous n’en sommes plus là aujourd’hui, grâce à des hommes comme Adenauer, de Gaulle, Monnet, Schuman, Kohl, Mitterrand et bien d’autres.
Pour ma part, et je le pense et le dis depuis bien longtemps, il me semble que le 11 novembre devrait être une journée de la paix propre à toute l’Europe, où l’on rendrait hommage à celles et ceux qui sont tombés au cours de toutes les guerres. En supprimant au passage le 8 mai et ailleurs en Europe les diverses commémorations .
Plus rien ne nous sépare des allemands, sinon quelques problèmes d’intendance. Nous sommes différents, bien sût, mais il me semble que rien d’essentiel ne nous sépare. Je garde en mémoire,avec émotion, F. Mitterrand et H. Kohl, main dans la main, à Verdun: quel plus beau symbole que ce geste éminemment politique? Sans oublier C. de Gaulle recevant chez lui le chanchelier K. Adenauer.
Donc, à travers de l’Europe, ne rien oublier de ceux qui ont payé de leur vie les engagements de leurs Etats, mais donner à cette journée du 11 novembre le signe que l’avenir est à la paix.
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Je me permets d’associer Charles Péguy à ta longue commémoration. Ancien socialiste, profondément révolté par l’antisémitisme, écrivain controversé, mort au champ d honneur……..
Les guerres sont toujours fratricides, et rien ne saurait les justifier.
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Merci, Christophe!
Oui à cette Europe-là!
On finirait par oublier à force de n’entendre parler que de gros sous!
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jour des morts – 11 novembre, l’heure est aux commémorations, personnelles ou collectives, oh sans cuivres ni tambours, dans la tête, c’est le plus important. Merci pour votre commentaire chez Monsieur Assouline. Je viens de voir que vous méditez en survolant la Sibérie, ce que je fais, moi aussi, souvent (ces larges étendues, méandres et montagnes que je rêve toujours de fouler de mes pieds) en me rendant à Tokyo. Ce que je fis, un jour par le transibérien : la seule expérience de mon point de vue où l’espace a donné une autre dimension au temps.
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