En écrivant mon dernier billet je me rendais compte qu’en fait il y n’avait pas d’article dans la Wikipedia.fr sur les cloches de Pâques. Il y a une petite ébauche sur le film de Louis Feuillade éponyme, mais pas d’article sur les cloches de Pâques. Dans l’article Pâques on trouve dans le chapitre « Fêtes et traditions populaires » les phrases suivantes (dernière consultation 24.4.2011 21:15): « En Belgique et en France, ce sont les cloches de Pâques qui apportent les œufs de Pâques. Depuis le jeudi saint, les cloches sont silencieuses, en signe de deuil. On dit qu’elles sont parties pour Rome, et qu’elles reviennent le jour de Pâques en ramenant des œufs qu’elles sèment à leur passage. En Allemagne et en France, le repas de Pâques est souvent l’occasion de partager un gigot d’agneau rôti accompagné de flageolets ». Ce n’est pas grand-chose, aucune source indiquée et en plus, concernant le repas de Pâques en Allemagne, c’est faux, le gigot d’agneau pour le repas de Pâques n’est pas une tradition allemande, peut être est-ce en train de le devenir sous l’impulsion de « live-style » magazine, mais ce que les auteurs de wikipedia – en fait l’auteur Gwalarn le 27.3.2005 à 19 :10 révèlent, relève en ce qui concerne l’Allemagne de la pure fiction. Donc ce qu’on trouve dans la wikipedia sur les cloches de Pâques est bien maigre ! C’est un peu dommage, car personnellement je crois qu’autrefois il y avait en effet un vrai fossé culturel – une sorte de röschti-graben qui séparait la culture francophone (catholique) – celle des cloches de Pâques – et allemande (protestante) celle du lièvre de Pâques – le fameux Osterhase. Déjà comme petit gamin durant les week-ends pascaux à Eckbolsheim, je m’apercevais de cette différence fondamentale entre l’Allemagne et la France. En fait, qu’on parlait français à Strasbourg, – grandissant dans un ménage bilingue cela ne m’a pas étonné, en plus le dialecte alsacien qu’on entendait ici et la dans la rue ne m’était pas étranger, car le Schramberger Schwäbisch est linguistiquement relativement proche du dialecte alsacien comme on le pratique à Strasbourg et dans une partie du Bas – Rhin. C’est la tradition des cloches de Pâques qui n’existait pas en Allemagne, qui m’a fait ressentir comme gamin de 4 ou 5 ans que Strasbourg et la France étaient donc un autre univers, l’univers où les œufs de pâques étaient rapportés par les cloches. En plus pour mes copains du Kindergarten St. Maria au Sulgen, – aussi bien qu’à la Grundschule Sulgen – la tradition de cloches était totalement inconnue. C’est Jean Egen dans les Tilleuls de Lautenbach qui a très bien décrit ce phénomène de frontière culturelle entre cloches de pâques et lièvre de pâques que j’ai moi-même connu comme gamin. « Le lièvre de Pâques, c’est comme la cigogne et Saint Nicolas, mes copains francs-comtois ne le connaissent pas, ils disent que les œufs sont apportes par les cloches, ce qui est difficile ä croire – comment feraient les cloches pour les retenir sous leur jupe et comment feraient les œufs pour ne pas se casser en tombant ? En Alsace, on est quand même plus sérieux, le jour de Pâques, après la grand-messe, mes Cousins, mon petit frère et moi, nous faisions chacun notre nid de paille dans le verger de grand-mère, puis nous passions à table en attendant que le lièvre distribue les trésors de sa hotte. » et quelques phrases plus tard « Nous courions vers les nids, ils étaient pleins d’œufs, de poissons, de lapins et de cocottes en sucre, en frangipane, en chocolat, il y avait aussi un agneau pascal en génoise et de véritables œufs durs qu’en temps ordinaire nous aurions dédaignés mais que nous engloutissions jusqu’ä l’étouffement parce qu’ils étaient peints en rouge ou en bleu » (Egen, Jean 1992, p.142-143). Chez mes grands-parents à Eckbolsheim, cela se passait semblablement, – sauf à un détail près, très important, – ma grand mère de souche lorraine, – qui avait déjà intégré avec grande habileté toutes ces pâtes italiennes (capeletti , gniocchi, etc. etc.) (dans ce contexte voir ici et ici) dans son ménage, et ces pâtes- la elle les faisait encore elle-même jusque à la fin des années 1990, – elle intégra les lièvres de pâques alemano-alsaciens dans les cloches franco – françaises. Naturellement c’était les cloches qui nous rapportaient les lièvres rouges en sucre que nos parents transportaient depuis Schramberg pour approvisionner les cloches d’Eckbolsheim. Les cloches qui lâchaient toutes ces friandises dans le grand jardin de la maison familiale rue des pommes à Eckbolsheim, sous le grand cerisier, sous les buissons de groseilliers – et il y en avait des groseilliers – des noirs (cassis), des rouges, et même des Groseilliers à maquereau.
Au début des années 1970 mes grand – parents déménagèrent vers le Midi français, – un pays où le lièvre de pâques était un vrai inconnu, sauf naturellement dans notre famille où les cloches franco-allemandes avaient toujours un « Osterhase » dans leurs bagages, que se soit à Aubord ou à Port Leucate. Si je me souviens bien, je crois avoir aperçu les premiers lièvres de pâques en chocolat dans le midi, au début des années 1980 – juste quelque temps avant l’élection de François Mitterrand, chez quelques pâtissiers-confiseurs. C’était pour ainsi dire un des avant-signes de la mondialisation. Entre-temps le « Osterhase » allemand devenait un article de la consommation de masse , le lièvre de pâques en chocolat qu’on trouve en Allemagne de nos jours dès début février dans les Supermarchés a presque failli faire disparaitre les rote Zuckerhasen de mon enfance. C’est devenu tellement rare que les rares pâtissiers-confiseurs qui prennent encore le temps de faire des rote Zuckerhasen, sont présenté dans des articles de presse (p.Ex. ici) – les rote Zuckerhasen autrefois une spécialité de l’Allemagne du Sud- sont de nos jours une espèce en voie de disparition.
Dans notre monde mondialisé où les coutumes disparaissent ou se transforment en mode de consommation de masse, l’histoire du père noël en chocolat qui finit en lièvre de chocolat et qui est présent dans les étalages de supermarchés allemands de début Septembre jusque début mai est un triste exemple, il est clair que les différences culturelles, ce röschti-graben culturel entre le monde germanophone et francophone que j’ai moi-même encore connu entre le Osterhase et les cloches et qui est si bien décrit par Jean Egen dans les Tilleuls de Lautenbach se rétrécit de plus en plus.
Je pense quand même que les cloches de pâques mériteraient un bon article dans la wiki.fr. – si même le lièvre de pâques en a un (même si l’article se dénomme lapin de pâques – ce qui est historiquement faux – car c’est bien le lièvre de pâques qui fut le premier à s’établir dans le vocabulaire, puisque c’est bien la traduction littérale du terme Osterhase et par la porte de l’Alsace le lièvre de pâques débarquait donc dans la langue française); mais un article bien sourcé qui nous raconte l’origine historique et religieux des cloches de pâques qui ramenaient les œufs de pâques serait certainement le bienvenu. Naturellement il reste la question de savoir si ces fameuses cloches de pâques sont simplement une tradition franco-française, ou si on trouve cette tradition dans la partie francophone de la Belgique, au Québec, en Suisse romande, ou même en Afrique francophone, – où la France n’a pas seulement laissé sa langue mais aussi partiellement le catholicisme comme par exemple dans le Sud de la Côte d‘ Ivoire.
Source & Citations :
Egen, Jean (1992) : Les tilleuls de Lautenbach. Mémoires d‘ Alscae. T 1. 3ème édition. Paris, Stock, ISBN 2-234-02523-0.
Joyeuses Pâques à tous mes lecteurs et toutes mes lectrices
Christophe Neff, Grünstadt le 24.4.2011